Le recours corporel comme outil de communication pour les personnes handicapées

Le recours corporel comme outil de communication pour les personnes handicapées

Le corps : un langage sous-estimé mais puissant

Quand on parle de communication, on pense souvent aux mots. Aux phrases. À la voix. Pourtant, pour bien des personnes en situation de handicap, surtout celles présentant des troubles de la parole ou du langage, ces moyens classiques ne sont pas toujours disponibles ou efficaces. Faut-il pour autant conclure qu’elles ne communiquent pas ? Certainement pas. Le corps, avec ses gestes, ses mimiques, sa posture, devient alors une langue à part entière.

Le recours corporel n’est pas une solution de « remplacement ». C’est une stratégie de communication à part entière. Une langue vivante, expressive, souvent plus intuitive que les mots eux-mêmes. Mais encore faut-il savoir la reconnaître, l’interpréter… et la valoriser.

Comprendre ce qu’on entend par « recours corporel »

Le recours corporel englobe tous les moyens par lesquels le corps transmet des informations :

  • les mouvements (de la main, des bras, de la tête…)
  • les expressions du visage
  • les changements de posture
  • les regards et leur direction
  • le rythme corporel (agitation, lenteur, tension…)

Par exemple, une personne polyhandicapée peut manifester son accord par un clignement d’œil ou désigner un objet en penchant la tête. Un jeune adulte atteint de paralysie cérébrale peut exprimer sa fatigue en laissant tomber ses épaules ou détourner les yeux pour marquer son désintérêt. Ces signaux corporels sont parfois minimes, mais ils ont un sens. À nous d’apprendre à les lire.

Pourquoi passer par le corps ?

Parce que la voie verbale n’est pas toujours accessible, tout simplement. Les troubles du langage, le mutisme, l’aphasie ou certaines formes d’autisme peuvent rendre la parole difficile, voire impossible. Mais le besoin de communiquer, lui, reste intact. Le recours au corps devient alors une porte d’entrée précieuse.

Ce type de communication a plusieurs vertus :

  • Il est immédiat : pas besoin de matériel spécifique
  • Il s’ancre dans l’interaction : il s’adapte à la situation
  • Il valorise les compétences naturelles de la personne
  • Il permet souvent de maintenir une forme d’autonomie

Et surtout, il offre la possibilité de créer du lien, même en dehors des mots.

Comment favoriser cette forme de communication ?

On ne « force » pas une personne à utiliser son corps pour communiquer. En revanche, on peut mettre en place des conditions qui facilitent cette expression corporelle. Voici quelques pistes issues de mon expérience terrain :

  • Observer sans interpréter trop vite. Un regard fuyant ne veut pas toujours dire que la personne vous ignore. Peut-être vous signale-t-elle son inconfort.
  • Créer un langage commun. L’observation permet souvent d’identifier des gestes ou postures récurrents. Ces signaux peuvent alors être codifiés ensemble (par exemple : cligner deux fois = « je veux recommencer »).
  • Utiliser un support visuel ou tactile. Certains outils de communication alternative (comme les tableaux de choix ou les pictogrammes) s’appuient eux aussi sur des gestes simples. Ils complètent efficacement la communication corporelle.
  • Instaurer des routines. La répétition favorise la reconnaissance des signaux. Si on salue toujours la personne en levant la main, elle peut spontanément s’approprier ce geste.
  • Valoriser. Chaque signal émis, même infime, est une tentative de lien. Le reconnaître, c’est valider la compétence de la personne à s’exprimer.

Exemples concrets du quotidien

Voici quelques situations que j’ai rencontrées lors de mes interventions :

Marie, 7 ans, atteinte de TSA non verbal. Lorsqu’elle veut rejouer une activité, elle serre les poings et fixe l’objet concerné. Une éducatrice l’a repéré et mis en place un jeu de cartes imagées. Marie apprend à associer ce geste à la carte correspondante, et gagne en autonomie décisionnelle.

Ahmed, adulte aphasique suite à un AVC. Il ne parvient plus à formuler des phrases claires. Mais il tape du pied chaque fois qu’il est contrarié, et sourit en penchant la tête quand quelque chose lui plaît. L’équipe soignante adapte l’organisation du quotidien en se basant sur ces signaux.

Julie, 15 ans, atteinte d’amyotrophie spinale. Très limitée sur le plan moteur, elle conserve toutefois le contrôle oculaire. Tordre légèrement la bouche signifie « non », cligner des yeux « oui ». Son équipe éducative construit un code simple autour de son expression faciale, ce qui permet à Julie de participer activement aux choix quotidiens.

Les limites à ne pas négliger

Il n’y a pas de solution miracle. Le recours corporel a ses propres contraintes :

  • Le risque de mauvaise interprétation. Un geste peut avoir un sens différent selon le contexte ou la personne.
  • La fatigue. Maintenir certains gestes demande un effort, surtout en cas de troubles neuromoteurs.
  • L’invisibilité. Certains signaux corporels sont discrets voire imperceptibles à l’œil non-averti.
  • La dépendance à l’environnement. Si l’entourage ne prend pas le temps d’observer et de décoder, la communication devient impossible.

Mais ces limites ne doivent pas freiner leur usage. Elles appellent juste à plus de vigilance et de formation.

Former les professionnels… et les proches

Trop souvent, les formations en structures médico-sociales restent centrées sur les outils technologiques ou les approches standardisées. Or, chaque personne est unique. Le corps qu’elle mobilise pour communiquer est aussi porteur de son histoire, ses habitudes, ses douleurs, son vécu.

Inclure le recours corporel dans les formations, c’est :

  • Apprendre à observer avant d’intervenir
  • Savoir poser les bonnes questions (ex : « Qu’est-ce que ce geste signifie pour vous ? »)
  • Étudier des cas concrets plutôt que des concepts abstraits
  • Impliquer les proches aidants, qui sont souvent les meilleurs traducteurs de ces langages corporels

Un exemple ? Dans un établissement pour jeunes polyhandicapés, une formation de deux jours a permis au personnel de mettre en place une « carte d’expression corporelle » pour chacun des résidents. Résultat : une meilleure qualité de vie, moins de crises, plus de participation dans les décisions quotidiennes.

Et quand la technologie complète le corps ?

Communication corporelle et outils numériques ne sont pas opposés, bien au contraire. Dans de nombreux cas, la technologie peut amplifier les signaux du corps.

  • Un capteur oculaire peut permettre à une personne de sélectionner des mots sur un écran uniquement par le regard.
  • Des capteurs de mouvements légers peuvent identifier des gestes infimes (ex : une flexion du doigt) et les associer à des actions vocales.
  • Des applis de CAA (Communication Alternative et Améliorée) permettent de créer un lexique personnalisé fondé sur les postures et expressions de la personne.

Mais l’enjeu reste le même : valoriser une expression propre à la personne, accessible, stable et reconnue par son entourage.

Penser autrement la communication

Écouter avec les yeux, parler avec les mains, comprendre sans entendre une seule voix… Et si on réapprenait à « lire » nos proches différemment ?

Le recours corporel n’est pas un plan B. C’est une autre manière de dire « je suis là », « j’ai un avis », « je veux participer ». Il ne s’agit pas seulement de communiquer pour survivre, mais pour s’exprimer, choisir, s’affirmer… vivre, tout simplement.

Et si le défi était moins pour les personnes handicapées que pour nous ? Sommes-nous prêts à écouter autrement ?

Changer de regard sur la communication, ça commence avec un simple pas : celui de prendre le temps d’observer. Le reste se construit ensemble, geste après geste.