Pourquoi l’accessibilité numérique est une question de justice sociale
Internet est devenu un outil incontournable pour accéder à l’information, aux services publics, à la culture et aux relations sociales. Pourtant, pour beaucoup de personnes en situation de handicap, la navigation sur le web reste un parcours du combattant. Pages illisibles, boutons inaccessibles à la navigation clavier, vidéos sans sous-titres… la liste est longue et franchement décourageante.
Dans une société qui se veut inclusive, il n’est plus acceptable que des millions de personnes soient exclues du numérique. L’accessibilité numérique, ce n’est pas du bonus. C’est une nécessité, un droit fondamental. Et la Belgique, comme beaucoup d’autres pays européens, est encore en chemin sur ce dossier.
Accessibilité numérique : de quoi parle-t-on exactement ?
L’accessibilité numérique désigne l’ensemble des techniques et bonnes pratiques qui rendent les contenus et services digitaux utilisables par tout le monde, y compris les personnes en situation de handicap. Cela concerne les sites web, les applications mobiles, les documents PDF, les bornes interactives ou encore les plateformes d’e-learning.
Par exemple, une personne aveugle va utiliser un lecteur d’écran pour naviguer sur le web. Si les balises HTML ne sont pas correctement structurées, si les images n’ont pas de description alternative ou si les liens sont ambigus, la navigation devient impossible. De même, une personne sourde n’aura aucun accès à une vidéo sans sous-titres ou transcription textuelle.
L’accessibilité numérique repose sur quatre grands principes (repris dans les normes WCAG) :
- Perceptible : Le contenu doit être présenté de manière à ce que tous les utilisateurs puissent le percevoir (par exemple via du texte alternatif ou un contraste suffisant).
- Utilisable : L’interface et les composants doivent pouvoir être utilisés avec différents équipements (clavier, plage braille, commande vocale…).
- Compréhensible : L’information doit être claire, cohérente et lisible, même pour les personnes avec des troubles cognitifs.
- Robuste : Le code source doit être fiable et interopérable avec les technologies d’assistance.
Que dit la législation belge sur le sujet ?
Depuis le 23 septembre 2020, tous les sites web des services publics en Belgique (fédéraux, régionaux, communaux) doivent respecter la directive européenne sur l’accessibilité numérique (Directive UE 2016/2102). Cela s’applique également aux applications mobiles, depuis juin 2021.
En clair, toute administration (commune, CPAS, ministère, etc.) est tenue d’offrir un site « accessible » à tous, et de publier chaque année une déclaration de conformité indiquant le niveau d’accessibilité de son site.
Le SPF BOSA est l’organisme de référence pour coordonner cette mise en conformité. Il propose également un outil gratuit d’analyse, Accessibility Scan, pour évaluer l’accessibilité d’un site belge.
Mais soyons honnêtes : en 2024, beaucoup de sites publics belges n’atteignent pas encore un niveau acceptable. Et dans le secteur privé, les obligations restent floues voire inexistantes. Ce manque de rigueur pénalise directement les citoyens les plus vulnérables.
Accessibilité numérique : qui est concerné ?
On pense souvent, à tort, que l’accessibilité numérique ne concerne qu’une petite minorité. En réalité, les personnes ayant besoin de dispositifs ou contenus adaptés sont bien plus nombreuses :
- Les personnes aveugles ou malvoyantes
- Les personnes sourdes ou malentendantes
- Les personnes à mobilité réduite qui ne peuvent utiliser une souris
- Les personnes avec des troubles cognitifs ou dys
- Les personnes âgées, souvent confrontées à une baisse fonctionnelle
- Les personnes dans des situations temporaires (bras cassé, environnement bruyant…)
L’accessibilité bénéficie donc à tout le monde. Pensez à une maman qui porte son bébé d’un bras et utilise son smartphone de l’autre main. Ou à un étudiant dans le train qui doit lire des documents sans casque audio. Ce ne sont pas les besoins qui manquent, ce sont les réponses adaptées.
Des exemples concrets qui parlent
Alexis, 32 ans, est non-voyant et utilise le lecteur d’écran NVDA. Il témoigne :
« Je voulais me renseigner pour demander une prime énergie via le site de la région Wallonne. Malheureusement, les menus déroulants ne sont pas accessibles avec mon clavier. Les formulaires n’ont pas de balises. J’ai dû demander à un ami de remplir la demande à ma place. »
Nathalie, ergothérapeute, donne un autre exemple :
« Lors d’un atelier numérique pour seniors, j’ai vu à quel point des contrastes trop faibles ou des polices fantaisistes rendaient la navigation quasi impossible pour des personnes malvoyantes. Pourtant, corriger ça prendrait 30 minutes de travail… »
Ces anecdotes ne sont pas des cas isolés. Elles illustrent une tendance lourde, que l’on pourrait pourtant enrayer facilement avec un peu de bonne volonté et des outils adaptés.
Des solutions concrètes pour avancer
Heureusement, des ressources existent pour améliorer significativement l’accessibilité numérique, sans exploser les budgets :
- Intégrer l’accessibilité dès la conception : L’UX design inclusif n’est pas un luxe. C’est une démarche structurée qui prend en compte les besoins des utilisateurs dès le départ.
- Faire auditer ses supports numériques : Des prestataires spécialisés (ou outils comme Wave ou Tanaguru) permettent d’identifier rapidement les freins d’accessibilité.
- Se former aux bonnes pratiques : En Belgique, des formations sont proposées par l’Anysurfer, le SPF BOSA ou encore l’ASBL Passe-Muraille.
- Impliquer les premiers concernés : Rien de tel que des tests utilisateurs avec des personnes handicapées pour repérer les obstacles concrets.
Et pour les particuliers ? Si vous êtes concerné par un manque d’accessibilité numérique (sur un site de service public notamment), vous pouvez adresser une plainte à l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes ou au Centre interfédéral pour l’Égalité des Chances (Unia).
Des initiatives inspirantes chez nous
Tout n’est pas noir. Certaines administrations ou organisations belges montrent la voie :
- Le site monservicepublic.be propose une interface sobre, accessible au clavier et avec une attention portée aux contrastes et à la taille de police.
- BrailleNet.be sensibilise et accompagne les développeurs dans la mise en accessibilité de leurs outils numériques.
- Le mouvement Tech for Good Belgium regroupe des professionnels qui développent des solutions numériques avec un vrai souci d’inclusion technologique.
Ce sont des exemples à suivre, mais encore trop isolés. Il faut une dynamique plus large, portée collectivement par les pouvoirs publics, les développeurs, les communicants et bien sûr, les utilisateurs finaux.
Un levier d’autonomie qu’on ne peut pas négliger
Quand on parle de santé, de démarches administratives, de logement ou de transport, le numérique est parfois la seule porte d’accès. Si cette porte est fermée pour cause d’inaccessibilité, c’est un droit qui est bafoué et une autonomie qui s’effrite.
À l’heure où tout se dématérialise, repenser l’accessibilité numérique devient aussi crucial que de construire des rampes d’accès physiques. On ne peut plus se permettre de négliger cette dimension. L’accessibilité, ce n’est pas « quand on aura le temps » mais maintenant. Et chacun peut y contribuer : webmasters, institutions… ou citoyens qui osent poser les bonnes questions.
Car la technologie est neutre. C’est l’usage qu’on en fait qui l’inclut ou l’exclut. À nous de choisir dans quel camp nous voulons nous situer.