La Belgique avance-t-elle assez vite vers une société inclusive ?

La Belgique avance-t-elle assez vite vers une société inclusive ?

Une société inclusive, vraiment ?

La Belgique avance, c’est indéniable. L’accessibilité, les droits des personnes en situation de handicap, la place de chacun dans la société : ces sujets ne sont plus tabous. Mais avancer ne veut pas dire courir. Et encore moins franchir la ligne d’arrivée. Alors, va-t-on assez vite ? Pas si sûr.

Quand on parle d’inclusion, il ne suffit pas de légiférer ou de poser une rampe à l’entrée d’un bâtiment public. L’inclusion, c’est aussi – et surtout – permettre à chacun de vivre pleinement, de façon autonome, dans toutes les sphères de la vie : logement, transport, éducation, emploi, culture. Cela ne se décrète pas, ça se construit jour après jour. Ensemble.

Législation : un bon début souvent insuffisant

La Belgique dispose d’un cadre légal relativement avancé en matière d’inclusion. Pensons, par exemple, à la loi antidiscrimination, ou encore à la Charte européenne des droits fondamentaux à laquelle elle adhère. Sur le papier, les protections sont là. Dans la réalité, c’est plus nuancé.

Exemple concret : depuis 2007, les bâtiments publics doivent être accessibles. Mais combien d’entre eux sont encore équipés d’escaliers sans alternative, de toilettes non adaptées, ou simplement signalés sans prendre en compte les personnes aveugles ou malvoyantes ? Trop. Et ce, même dans les administrations locales. Ceux qui ont déjà essayé d’accéder à une maison communale en fauteuil roulant savent de quoi je parle.

La volonté politique existe, mais elle pêche souvent par manque de moyens, de coordination, ou de suivi. Lorsqu’une ville décide de rénover une rue ou un arrêt de tram, l’accessibilité est encore trop souvent reléguée au second plan. Résultat : les mêmes barrières reviennent, projet après projet.

Transport : un combat quotidien

Bon nombre de personnes en situation de handicap ont intériorisé une vérité simple : se déplacer, c’est souvent compliqué. Trains inaccessibles, bus sans rampe, taxis peu équipés, trottoirs chaotiques. Le chemin vers l’autonomie passe pourtant par cette liberté de circuler.

La SNCB a amorcé des efforts : certains quais ont été rehaussés, le personnel propose une assistance aux personnes à mobilité réduite. Mais cette assistance doit être réservée 24h à l’avance. Faut-il vraiment anticiper une envie spontanée de prendre le train ? Sommes-nous en train d’aménager la liberté ou de la caser dans un planning rigide ?

Les transports locaux, comme la STIB à Bruxelles ou le TEC en Wallonie, améliorent peu à peu leur accessibilité. Mais si tous les bus ne sont pas équipés, si les arrêts restent inadaptés, le service restera partiel. Et partiel, c’est déjà une forme d’exclusion.

L’école et la formation : l’inclusion en chantier

Le monde scolaire est un terrain fertile pour l’inclusion… ou l’exclusion. Trop souvent, on oriente les enfants vers des filières spécialisées sans explorer les adaptations possibles dans l’enseignement ordinaire. Pourtant, une classe inclusive bénéficie à tous, pas seulement à l’élève concerné.

Certaines écoles vont plus loin : elles adaptent leur pédagogie, aménagent leur infrastructure, forment leur personnel. Mais ce sont encore les exceptions, pas la norme. Le manque de moyens (toujours lui) pèse lourd sur les décisions. Or, quand on parle de l’avenir d’un enfant, chaque compromis pèse double.

Et que dire de la formation professionnelle ? Beaucoup de centres restent mal équipés ou peu formés à l’accueil de personnes en situation de handicap. Les besoins spécifiques sont vus comme un problème, rarement comme une richesse. Pourtant, dans un monde du travail en constante évolution, la diversité des profils n’a jamais été aussi précieuse.

Logement : trouver un toit adapté, un parcours du combattant

Avoir un logement adapté, c’est une condition de base pour vivre dignement. Pourtant, trouver un appartement accessible, bien situé et financièrement abordable relève souvent de l’exploit. Le parc de logements accessibles en Belgique est dramatiquement insuffisant.

Ajoutez à cela des démarches administratives complexes, une liste d’attente interminable pour des aides au logement, et vous obtenez un cocktail décourageant. Beaucoup finissent par déménager loin de leur famille ou de leur réseau de soins, simplement parce que c’est le seul logement accessible disponible. Peut-on vraiment parler d’inclusion dans ces conditions ?

Des initiatives émergent : certaines communes soutiennent des projets de logements inclusifs ou intergénérationnels. Des coopératives proposent des habitats partagés en tenant compte des besoins spécifiques. Ces pistes sont inspirantes. Mais elles restent trop marginales pour répondre à la demande croissante.

Emploi : le potentiel ignoré

Le marché du travail belge n’est pas encore prêt à accueillir pleinement la diversité. Les statistiques parlent d’elles-mêmes : le taux d’emploi des personnes en situation de handicap reste bien inférieur à celui de la population générale. Et ce, malgré de nombreuses compétences, une forte motivation, et une envie claire de contribuer.

Les freins ? Ils sont nombreux :

  • Manque d’aménagements raisonnables dans les entreprises.
  • Préjugés persistants sur l’efficacité ou la charge que représenterait un collègue « différent ».
  • Manque de soutien pour les employeurs : démarches administratives floues, peu d’accompagnement dans l’intégration réelle.

Pourtant, des solutions existent : sensibilisation, mentorat, coaching post-embauche, subventions à l’adaptation du poste de travail… mais elles sont sous-utilisées. Trop peu connues. Trop peu promues. L’employabilité ne dépend pas seulement des compétences de la personne, mais aussi de l’ouverture du système qui recrute.

Culture et loisirs : encore trop d’obstacles invisibles

Sortir, aller au cinéma, à un concert, dans un parc, au restaurant. Des gestes simples ? Pas pour tout le monde. Entre les marches à l’entrée, les toilettes inaccessibles, l’absence d’audio-description ou de sous-titrage, l’exclusion reste souvent la règle.

La culture, ce n’est pas juste un luxe. C’est un droit. Et un levier puissant pour se sentir pleinement acteur de la société. Heureusement, de plus en plus de festivals s’équipent, certains musées proposent des visites adaptées, des supports tactiles, des guides en Langue des Signes. Mais il faut chercher, vérifier, souvent appeler “pour être sûr”. Encore une charge mentale à rajouter au quotidien.

Des mentalités qui évoluent… lentement

Les mentalités changent, c’est vrai. Mais trop doucement. Beaucoup associent encore le handicap à l’impossibilité ou à la dépendance. Et tant que cette vision perdure, l’inclusion restera une ambition lointaine.

Mais les choses bougent, grâce à celles et ceux qui prennent la parole, témoignent, agissent. Grâce aux initiatives locales, aux associations qui portent des projets audacieux. Grâce aux citoyens qui regardent au-delà de leurs habitudes et s’ouvrent à d’autres réalités.

Chacun peut être acteur de cette évolution. Que vous soyez architecte, enseignant, commerçant ou simple voisin, vous avez un rôle à jouer. Parfois, ça commence par un détail : penser à installer une rampe, former son équipe, écouter sans supposer, demander sans gêne.

Alors, où en est la Belgique ?

La Belgique avance, certes. Mais au rythme de ceux qui n’ont pas de souci pour avancer. Pour les autres, on s’adapte trop lentement. On multiplie les promesses tout en invitant à patienter. Et pendant ce temps-là, les obstacles restent, les opportunités se perdent, les citoyens s’épuisent.

Le chemin est encore long, mais il est tracé. Reste à accélérer le pas. Et pour cela, pas besoin d’attendre un miracle politique ou une réforme salvatrice. Parfois, il suffit de se poser une question simple : “Est-ce que ce que je fais aujourd’hui contribue à une société où chacun peut vivre debout ?”

Parce que oui, une société inclusive, ce n’est pas une idée généreuse. C’est un choix. Pragmatique. Urgent. Et profondément humain.